Je suis en
colère
Un texte de
Michel Bernard, journaliste à la revue Silence
Je suis en
colère parce que
l'accident de Tchernobyl n'a pas servi de leçon. Et que l'on continue à
entendre et lire les mêmes mensonges sur le nucléaire dans les médias.
Je suis en colère quand
j'entend à la radio, un haut responsable du nucléaire français nous dire qu'on
ne peut remettre en cause le nucléaire : "personne n'a envie de revenir à
la bougie". Que je sache, dans les pays européens qui n'ont pas de
centrales nucléaires (Autriche, Danemark, Grèce, Irlande, Islande, Italie,
Luxembourg, Norvège, Portugal…), y-en-t-il où l'on s'éclaire à la bougie ? Il
n'y a que 441 réacteurs nucléaires dans le monde (dont 58 en France, 55 au
Japon)… dans seulement 31 pays, tous les autres pays s'en passent.
Je suis en colère quand
en 1979, après l'accident nucléaire de Three-Mile
Island, on nous a dit que c'était parce que les Américains étaient moins forts
que nous ; quand en 1986, après l'accident de Tchernobyl, on nous a dit que les
Russes étaient moins fort que nous… et que je lis aujourd'hui que les Japonais
sont moins forts que nous… De qui se moque-t-on ?
Je suis en colère quand
on me dit que l'on peut continuer à exploiter encore des vieux réacteurs comme
Fessenheim en Alsace (qui a trente ans) parce que "plus il est vieux,
mieux on connait un réacteur". Ce n'est pas
parce que vous connaissez bien les défauts de votre vieille voiture qu'elle
tombe moins souvent en panne et moins gravement. (Le réacteur Fukushima-Daiichi 1, qui vient d'exploser avait 40 ans et a
été autorisé à continuer de fonctionner pour dix ans en février 2011 !).
Je suis en colère quand
on nous dit que l'on ne peut se passer du nucléaire en France, parce que cette
énergie fournit près de 80 % de notre électricité. C'est oublier que
l'électricité n'est pas la principale source d'énergie (c'est le pétrole) et
que le nucléaire ne représente que 17 % de notre énergie. Si l'on voulait
s'arrêter, on pourrait s'appuyer sur une solidarité au niveau de l'Europe : là,
le nucléaire ne représente que 35 % de l'électricité et seulement 9 % de
l'énergie ! Il suffirait donc d'économiser 9 % pour s'en passer !
Je suis en colère parce
qu'au nom de la défense de la croissance économique, les programmes
énergétiques français ou européens, négligent toujours plus ou moins le
potentiel des économies d'énergies, préférant la surconsommation,
éventuellement alimentée par le recours aux énergies renouvelables. Or
l'énergie la plus propre reste celle que l'on ne consomme pas. En adoptant les
meilleures techniques disponibles et en évitant les comportements énergivores, nous pourrions diviser par 4 notre
consommation en une vingtaine d'années.
Je suis en colère parce que les discours économiques nous polluent : on
nous dit qu'arrêter un réacteur nucléaire, ce serait de l'argent gaspillé… mais
les 1000 milliards d'euros déjà dépensé en 25 ans pour la gestion de la
catastrophe de Tchernobyl (et c'est loin d'être terminé), ce n'est pas un
gaspillage encore plus grand ? Mille milliards d'euros, c'est sensiblement le
coût qu'il a fallut dépenser pour construire l'ensemble des 441 réacteurs
actuellement en fonctionnement.
Je suis en colère parce
que je sais que l'on peut arrêter relativement rapidement le programme
nucléaire français, qu'il existe de multiples scénarios de sortie sur le sujet
(de 2 à 30 ans selon les efforts qu'on veut bien consentir).
Je suis en colère quand
j'entends mon gendre, 25 ans, ingénieur dans le photovoltaïque, me dire qu'il
cherche un nouveau travail car la profession est sinistrée suite aux récentes
décisions du gouvernement.
Je suis en colère quand
mon fils, 20 ans, me dit : "à quoi ça sert de faire des études si dans
cinq ans on a tous un cancer" (et il ne pense pas qu'au nucléaire, mais
aussi à la pollution atmosphérique, aux pesticides…).
Alors j'agis, je me suis investi depuis une trentaine d'années
dans les médias écologistes pour faire circuler une information moins déloyale
et j'incite les journalistes et les lecteurs à prendre le temps d'eux aussi
chercher où est la vérité. Comment peut-on encore minorer l'importance de la
pollution radioactive au Japon alors que les images sur internet nous montrent
les réacteurs en flamme ?
Alors j'agis et
je m'engage dans l'une des 875 associations qui animent le Réseau
Sortir du nucléaire pour demander à nos élus de faire pression pour un
changement de politique dans le domaine de l'énergie. (www.sortirdunucleaire.org)
Alors j'agis au
niveau local en rejoignant les nombreux groupes locaux qui travaillent à des
plans de descente énergétique qui nous permettront de diminuer la menace
nucléaire, mais aussi notre dépendance à un pétrole qui va être de plus en plus
rare. (www.transitionfrance.fr)
Alors j'agis car
aujourd'hui si le lobby nucléaire arrive à manipuler élus et médias, c'est
parce que nous ne nous indignons pas assez !
Michel Bernard
Journaliste à la revue Silence